Incapable de juguler l’épidémie de Covid au Brésil, le président Bolsonaro va devoir en plus batailler contre Lula, qui rêve de lui ravir son fauteuil.
Fait sans précédent dans un pays hanté par le souvenir de la dictature militaire qui régna de 1964 à 1985, les chefs des armées de terre, de mer et de l’air du Brésil ont démissionné le 30 mars pour protester contre le limogeage par le président Jair Bolsonaro du ministre de la Défense. Respectueux de l’ordre démocratique, le général Fernando Azevedo e Silva refusait la politisation de l’armée et entendait la préserver en tant qu’institution de l’État indépendante des partis. Cette purge s’inscrit dans le droit-fil de la valse des ministres de la Santé – quatre depuis le début de l’épidémie – ou encore de la révocation du président de Petrobras, Roberto Castello Branco, à qui il était reproché de reporter la hausse du cours du pétrole dans le prix des carburants.
Le Brésil, qui représente 60 % de l’économie de l’Amérique latine, est naufragé. Le désastre est d’abord sanitaire puisqu’il est, après les États-Unis, le deuxième pays le plus touché par l’épidémie de Covid avec 13,5 millions de cas et 350 000 morts. Le record de 4 000 décès par jour a été récemment franchi, tandis que la vaccination patine, limitée à 11 % de la population en l’absence de soutien du gouvernement.
Le géant d’Amérique latine se trouve également au bord de l’effondrement sur le plan économique et social. La récession a atteint 4,1 % en 2020 et se poursuit en 2021, entraînant une hausse du chômage à 13,5 % de la population active, tandis que l’inflation s’envole à 5,2 % pour le seul mois de février. Les travailleurs du secteur informel, qui emploie 40 % de la population active, ne survivent qu’avec les aides sociales, qui ont été très fortement réduites depuis le début de 2021. Elles ont en effet fait bondir le déficit et la dette publics à 13,7 % et 90 % du PIB l’an dernier. Avec pour conséquence l’accélération de la fuite des capitaux et la chute de 40 % de la valeur du real.
Sur le plan international, le leader brésilien a perdu son principal soutien avec la défaite de Donald Trump ; et la dépendance de Brasilia vis-à-vis de Pékin est de plus en plus forte dans le domaine sanitaire comme sur le plan économique et technologique.
Le Brésil présente par ailleurs de plus en plus de traits d’une démocratie illibérale. Non content de combattre non pas le Covid mais ceux qui combattent le Covid, Jair Bolsonaro détruit en effet les fondements de l’État de droit. Dans le droitfil de Donald Trump, il organise méthodiquement le chaos pour la présidentielle de 2022 afin de se donner la possibilité d’en contester le résultat.
Depuis que le juge de la Cour suprême Edson Fachin a annulé toutes ses condamnations, Lula da Silva peut se présenter à un troisième mandat contre Jair Bolsonaro. Comme aux États-Unis en 2020, la polarisation politique est telle qu’elle risque de tourner à la guerre civile. Par ailleurs, la justice est discréditée par l’opération Lava Jato, qui, au terme de 1 450 mandats d’arrêt, 533 mises en accusation et 174 condamnations, se révèle avoir été une manipulation politique. D’où une escalade dangereuse qui voit les partis d’opposition engager une nouvelle procédure de destitution contre le président, quand celui-ci cherche à s’assurer le contrôle de l’armée pour rester au pouvoir en toutes circonstances.
Pour le Brésil, le pire est à venir. Le pic de l’épidémie est loin d’être atteint ; l’économie est à l’arrêt ; la situation financière est très fragile ; la démocratie est délégitimée. Cette descente aux enfers n’avait rien de fatal car le pays disposait a priori d’atouts sérieux pour affronter l’épidémie de Covid : une population jeune ; l’expérience des épidémies tropicales ; une forte industrie pharmaceutique ; un système de santé public gratuit et universel. Mais ces points forts ont été réduits à néant par l’incompétence et l’irresponsabilité de Jair Bolsonaro.
Le Brésil aura en 2022 une ultime chance de donner un coup d’arrêt à l’engrenage qui est en passe de le placer sur la trajectoire fatale du Venezuela chaviste. La France, qui est à bien des égards le Brésil de l’Europe, connaîtra aussi l’an prochain une élection décisive, qui sera dominée par les populismes de droite et de gauche. Ses citoyens devraient méditer la maxime de Charles Péguy, confirmée par l’émergence avortée du Brésil, qui rappelle que « le triomphe des démagogues est passager mais leurs ruines sont éternelles ».
(Article paru dans Le Point du 15 avril 2021)